Les pouvoirs publics à la rescousse de la filière bio
Enviée par l’ensemble du secteur agroalimentaire pour sa montée en puissance au cours de la dernière décennie, la filière de l’agriculture biologique traverse depuis 2020 une crise sérieuse, que tous espèrent conjoncturelle.
De nombreux facteurs expliquent pourtant la relative désaffection des Français pour le bio, tandis que les difficultés actuelles interrogent les acteurs du secteur sur certaines limites structurelles.
Face aux conséquences en termes de production et d’emploi, les pouvoirs publics s’organisent pour soutenir l’activité des agriculteurs et encourager la commande publique via notamment le secteur de la restauration collective.
L’essoufflement de la filière bio
Entre 2010 et 2020, le chiffre d’affaires du marché bio en France a été multiplié par quatre, atteignant plus de 13 milliards d’euros en 2020. Cette croissance constante a été portée par le lancement de nombreux nouveaux produits et marques, la multiplication d’initiatives et l’ouverture en série de magasins dans toutes les régions de France. Néanmoins, depuis deux ans, la tendance s’inverse et les ventes de produits bio ne cessent de chuter : -7% en moyenne dans les grandes surfaces et jusqu’à -15% pour certaines enseignes spécialisées.
Ces dernières – parmi lesquelles Biocoop, Comptoirs de la Bio, Bio C’Bon, Naturalia – ont été contraintes de réduire le nombre de leurs points de vente. Au total, pour la seule année 2022, ce sont près de 250 magasins qui ont dû fermer leurs portes, entraînant le reclassement ou le licenciement de centaines de salariés.
De plus, parmi les agriculteurs passés, parfois récemment, au bio, nombre d’entre eux se voient contraints, par la baisse du volume de commandes et donc de leur rémunération, de se « déconvertir », pour retourner à l’agriculture conventionnelle. Selon les estimations de l’Agence Bio, entre les seuls mois de janvier et août 2022, ce sont près de 2200 producteurs qui ont quitté la filière bio, certains encouragés par les grands opérateurs de l’agro-alimentaire. Ce phénomène est plus prononcé dans certains secteurs, comme le porc, l’apiculture, le lait, la volaille et les œufs.
Sur un an, le nombre de déconversions chez les agriculteurs français est en augmentation de 42%, et ce alors même que le gouvernement a fixé dans le cadre du Plan national stratégique PAC l’objectif d’atteindre 18 % de surfaces agricoles bio en 2027 (pour un niveau de 10% en 2022).
Chute des ventes, surproduction, fermetures de magasins, perte d’emplois, dégradation des conditions économiques des producteurs, tensions entre les différents acteurs du marché : en 2023, tous les indicateurs semblent dans le rouge pour le bio.
Alimentation bio : une crise multifactorielle
Divers facteurs, tant conjoncturels que structurels, permettent d’expliquer cette crise.
Raison la plus immédiate et évidente : l’inflation, notamment en matière alimentaire (+16% selon les estimations de l’INSEE entre 2022 et 2023), érode le pouvoir d’achat des consommateurs amenés à rechercher des alternatives moins chères. Dans ce contexte économique difficile et avec des prix supérieurs en moyenne de 30% par rapport à des produits issus de l’agriculture conventionnelle, le secteur bio voit son attractivité et sa compétitivité menacées. Au-delà de l’inflation, se pose également la question de la saturation du marché, après une décennie de croissance ininterrompue à deux chiffres.
Par ailleurs, le secteur du bio semble confronté à des problématiques en termes d’image et de positionnement marketing. D’après le dernier baromètre de l’Agence Bio, 61 % des Français estiment que le bio est avant tout du marketing et 59 % considèrent comme anormal l’écart de prix avec les produits conventionnels.
En outre, la multiplication des labels, dénominations ou marques constitue une concurrence réelle pour le bio et contribue à créer une confusion dans l’esprit des consommateurs. Entre les labels qualité ou origine (AOP, AOC, Label Rouge, etc), les produits issus du commerce équitable ou de productions locales, les labels environnementaux (HVE, « sans pesticides », « sans OGM » etc.), les produits fermiers, les scores nutritionnels, difficile parfois de s’y retrouver…
Enfin, les modalités de distribution des produits bio et de leur mise en valeur en rayon, notamment au sein des réseaux de la grande distribution, devraient être l’objet d’une réflexion sérieuse entre l’ensemble des acteurs de l’industrie agro-alimentaire.
Le soutien des pouvoirs publics à la filière biologique
Pour aider la filière bio à résoudre les difficultés les plus urgentes, le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a annoncé mi-mai 2023 la mise en place d’une « enveloppe de crise d’un montant de 60 millions d’euros » qui vient s’ajouter à la première aide d’urgence de 10 millions d’euros promise par la Première ministre Elisabeth Borne, fin février au salon de l’agriculture.
Le gouvernement avait déjà annoncé des mesures financières à l’occasion des « Assises de la bio » en décembre 2022 :
- augmentation du Fonds AVENIR BIO de 5 millions d’euros en 2023 pour un montant total de 13 millions d’euros ;
- financement à hauteur de 3 millions d’euros d’une nouvelle campagne de communication et de promotion des produits bio ;
- lancement d’un nouveau programme « Ambition Bio » pour accompagner les producteurs dans leur conversion au bio.
Le montant de ces aides est toutefois jugé insuffisant par la grande majorité des syndicats et autres représentants de la filière bio, qui évaluent les besoins au double voire au triple, et rappellent qu’au même moment près d’1,5 milliard d’euros ont été débloqués en soutien des seules filières volaille et porcine.
En outre, le ministère de l’Agriculture a rappelé le rôle crucial que peut jouer le secteur de la restauration collective dans une optique de relance de la demande. La commande publique pour les cantines de l’Etat pourrait ainsi représenter pour les productions agricoles bio un soutien supplémentaire d’environ 120 millions d’euros.
Pour la Fédération nationale de l’agriculture biologique (Fnab), la restauration collective permettrait en effet d’absorber l’excédent de produits bio actuels. « Jusqu’à maintenant, les règles des marchés publics dans ce domaine étaient trop rigides, aujourd’hui elles ont été assouplies, on est dans une période clé, or les collectivités tentent de rogner leur budget alimentaire pour garder un prix accessible aux familles les plus modestes. Il faut un engagement politique fort sur ces sujets », affirme Philippe Camburet, président de la Fnab. Le gouvernement rappelle à cet égard les dispositions de la loi EGalim fixant l’objectif de 20% au moins de produits bio dans les cantines (6% actuellement) et incite les collectivités locales à accroître leurs efforts pour garantir davantage de débouchés aux agriculteurs ayant fait le choix du bio.